mardi 10 mai 2016

UN MAILLOT POUR L'ALGERIE, B. Galic / Kris / J. Rey, Aire Libre, 2016







La superbe couverture de Un maillot pour l’Algérie nous met tout de suite dans le bain. Un Rachid Mekhloufi  à l’air grave nous toise du regard. A arrière-plan, des soldats du FLN et des militaires français, armes à la main. Le Stéphanois n’a pas de fusil, ses armes sont un ballon et un maillot vert, ceint du croissant et de l’étoile d’une colonie qui combat pour sa liberté.
Le trio Bertrand Galic (déjà scénariste de l’adaptation du Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias, avec Marc Lizano au dessin) / Kris (Notre Mère la guerre, Svoboda !...) / Javi Rey nous livrent un one shot passionnant de bout en bout, commençant par les massacres de Sétif en mai 1945 (qui vont marquer plusieurs des protagonistes de l’histoire), annonciateurs d'une guerre d’indépendance qui éclatera neuf ans plus tard, et se terminant avec la signature des Accords d’Evian en 1962.
  
Manifestations à Sétif - mai 1945

La guerre d’Algérie ne tient pas le premier rôle mais s’inscrit en filigranes,  par l’intermédiaire de titres et unes de journaux, quelques phylactères faisant référence à quelques moments clés, et de très rares cases.
Depuis 1956, la guerre s’est intensifiée, le conflit s’est élargi. Si la métropole remporte plusieurs succès militaires, dont la bataille d’Alger en 1957, elle est en train de perdre le soutien de l’opinion publique en métropole, et doit composer avec des condamnations émanant des grandes puissances et de l’ONU.
En septembre 1958 est fondé le Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA), présidé par Ferhat Abbas jusqu’en 1961, et dont le siège sera basé au Caire, puis à Tunis.

Le héros est ici une équipe de footballeurs algériens qui vont accepter de mettre entre parenthèse leur carrière sportive en fuyant la métropole, quittant leur club en catimini les 13 et 14 avril 1958, afin de constituer la première équipe nationale algérienne, sous l’égide du Front de Libération Nationale (FLN) créé en 1954. Pour certains, cela sonnera le glas de leur carrière de footballeur professionnel.

Une de L’Equipe du 15 avril 1958

Le championnat de France attire alors les meilleurs joueurs d’Afrique du Nord, originaires des territoires colonisés ou des ex-protectorats français. Rachid Mekhloufi (ASSE), Hamid Kermali (OL), Amar Rouaï (SCO Angers), Mustapha Zitouni (AS Monaco) brillent sur les pelouses de l’hexagone, mais vont faire le choix de leur terre d’origine.  La fuite des joueurs de la métropole, vers Tunis, est organisée par l’ancien joueur Mohamed Boumezrag (Red Star, Girondins de Bordeaux...), secondé par Mokhtar Arribi (entraîneur en 1958 de l’équipe d’Avignon) qui coachera l’équipe.  L’écho de ces départs est relayé par le journal L’Equipe et la presse française, alors que la France prépare la Coupe du monde en Suède, et que plusieurs de ces joueurs algériens sont potentiellement sélectionnables.

Olympique Lyonnais -saison 1956 - 1957 : De gauche à droite debout : Ninel-Mouynet-Solakian-Mignot-Antonio-Knayer ; accroupis : Hamid Kermali-Constantino-Schultz-Cossou-Fatton.


Le sport devient ainsi un formidable outil de propagande. Les auteurs nous proposent de suivre la tournée de cette équipe, qui devient l’ambassadrice de la cause algérienne dans le monde. L’Europe de l’est, le Vietnam, l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, et d’autres pays accueillent ces footballeurs, malgré les menaces d’une FIFA qui se place du côté des colonisateurs. Equipes de clubs, sélections locales, mais aussi sélections nationales, vont, le plus souvent, se faire étriller par cette première sélection algérienne, durant quelques 90 matchs. 

Ce qui pouvait être à première vue redondant, à savoir suivre la vie d’un groupe au fil de ses matchs, sur plusieurs années, est au final traité sur un rythme alerte, alternant les matchs avec les moments de doute et d’euphorie, les histoires de cœur avec  des passages franchement drôles (belle trouvaille que le bus dans lequel il manque une place !).



Quant au catalan Javi Rey (Secrets – Adelante), son trait excelle dans des scènes de match croquées avec réalisme, finesse et dynamisme.  Quelques cases suffisent à dégager l’émotion et l’ambiance procurées par un match, où des moments de vie du groupe dans le pays hôte (c’est par exemple la rencontre avec le général Giap, le vainqueur de Diên Biên Phu,  qui est choisie par les auteurs pour la tournée au Nord-Vietnam, en novembre 1959). La rencontre contre la grande équipe de Yougoslavie bénéficie d’un traitement plus long, sur cinq pages, comme pour souligner ce qui fut un des points d’orgue de l’équipe de Mekhloufi et consorts (victoire 6 à 1).



Un récit parfaitement mené par Bertrand Galic, et l’un des maîtres de la BD historique, Kris. La fluidité et la légèreté du trait de J. Rey s’adaptent parfaitement à cette histoire d’un groupe d’hommes, qui va mettre son talent footballistique au service d’un engagement politique juste, et va ainsi rejoindre la grande Histoire, pour l’éternité !
Si l'historien Benjamin Stora insiste sur la multiplicité des mémoires, dès lors que l’on aborde la Guerre d’Algérie, Un maillot pour l’Algérie participe à faire revivre celle de ces sportifs algériens qui ont choisi leur patrie et le militantisme plutôt que leur carrière.

Un dossier et une interview avec Rachid Mekhloufi clôturent l’album.




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