Tunnel 57
(sorti le 8 janvier 2014) est le sixième tome de la série concept La grande évasion, chez Delcourt. Cet
ouvrage se lit bien sûr en toute indépendance des précédents albums. Il relate
la plus spectaculaire des évasions qui ont suivi la construction du Mur de
Berlin en 1961, et qui va voir la fuite de 57 Est-allemands à l’Ouest en 1964.
Dans la réalité, 28 pourront s’enfuir dans la soirée, et 29 le lendemain, empruntant un tunnel de 145 mètres de long ! L’album
regroupe ces deux vagues en une seule.
Le scénario,
conçu par Olivier Jouvray (la série Lincoln, et récemment l’adaptation de Moby
Dick) s’inspire donc d’un fait historique : l’entreprise menée par Joachim
Neumann, un spécialiste du creusement de tunnel sous Berlin pour faire fuir sa
petite amie (voir sa biographie sur le site internet du Mémorial du Mur de Berlin) et Ralph Kabisch, dont la cousine ne supporte plus la vie à Berlin-Est.
Ces deux éléments historiques sont d’ailleurs repris et condensés par O.
Jouvray pour donner naissance aux deux
protagonistes principaux de Tunnel 57 : Tobias, artiste peintre, qui va
vouloir faire passer à l’Ouest sa sœur Hanna, et Mathias, ami proche de Tobias,
qui va rapidement nouer un début d’idylle avec Hanna (p 13).
Dès le début
de la BD, les deux amis marquent ainsi symboliquement au sol l’entrée du
tunnel, qui se situe dans la cave d’une boulangerie désaffectée (p 3 à 5). La
réalité historique est ici respectée, tout comme la localisation du lieu :
sur la Bernauerstasse, à cheval sur le secteur soviétique et le secteur français
(case 1 de la p 1).
Le dessin de
Nicolas Brachet, dont l’album précédent, 199 combats, versait déjà dans l’histoire
fictionnée (et la guerre froide !), rend compte à merveille des deux
Berlin. Ainsi, l’Ouest fait briller ses enseignes, symboles de la société de
consommation (on retrouve le fameux Café Kranzler, sur la Kurfürstendamm, pages
9 et 10), contrastant avec des rues uniquement « illuminées » par l’éclairage
public ( p14), et les immeubles gris et froids de style soviétique à l’Est.
Il faut,
dans ce type d’album qui se veut réaliste, historiquement le plus proche de la
vérité historique, louer ce dessin à la fois rigoureux et esthétiquement fort
agréable. C’est finalement Philippe Jarbinet lui-même qui qualifie N. Brachet
de « sacré belle patte » qui résume le mieux le sentiment qui se
dégage quand on regarde le dessin de l’auteur lyonnais.
L’espace du
mur est également omniprésent au sein de l’album : no man’s land (la case
4 de la page 30 représente au mieux cette balafre au cœur de la ville,
barbelés, postes de contrôle, VoPos…
Mais le talent
de Nicolas Brachet s’exprime le mieux dans les scènes se déroulant dans le
tunnel, donc en espace confiné. Les proportions des corps se mouvant dans cet
espace confiné, et maîtrisé graphiquement, le réalisme et la crédibilité donnés
aux gestes effectués sont une vraie réussite (cf, entre autre les pages 20, 22,
23, 24, 28, 36 et 37). Un regret toutefois : que la fuite dans le tunnel
ne se réduise qu’à quelques cases (p 53). On aurait aimé retrouver le stress
évoqué par les témoins de cette évasion lors de ces 15 minutes ils rampèrent
dans la boue, dans un boyau d’à peine 80 cm de hauteur, parfois dans les
pleures des plus apeurés.
Le scénario
gagne cependant en efficacité et en rythme. Olivier Jouvray ne laisse pas une
page de répit au lecteur, avant de connaître l’issue finale et le sort des
fuyards. Si cet album est une réussite, et se laisse dévorer de bout en bout, c’est
bien grâce à l’alliage talentueux du dessin de Brachet et du scénario d’O.
Jouvray. Celui-ci distille rebondissements et suspense tout au long de l’album,
tout en respectant la réalité historique. Problèmes d’inondation dans le
tunnel, arrivée des filles pour aider les garçons dans la logistique, alerte
due aux bruits entendus à la surface, problème pour déterminer la sortie, VoPo
surprenant Hanna, ou encore membre de la Stasi tentant de repérer les candidats
à l’évasion, tout est fait pour titiller l’attention du lecteur, même lorsque
celui-ci connaît la fin de l’histoire.
Il faut
enfin reconnaitre les talents de la coloriste Anne-Claire Jouvray. Et si la
restitution du Berlin des années 1960 est réussie, elle en est aussi
responsable !
Un one shot
efficace et respectueux du vécu de ces Berlinois qui ont parfois payé de leur
vie leur volonté de rejoindre le monde libre !
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