Philippe le Bel, paru le 05/03/2014, est le tome 1 de la Collection
Ils ont fait l’Histoire, éditée chez Glénat, qui tente de reprendre le flambeau
de la désormais désuète Collection L’Histoire de France en bande dessinée des
éditions Larousse, en y insufflant rigueur scientifique, qualité graphique, et
dynamique scénaristique.
Ce premier opus est confié à Christophe Regnault (dessin) et Mathieu Gabella (scénario). Il est clair,
tout au long de la lecture, que le projet a fortement associé le dessinateur et
le scénariste aux deux historiens mobilisés sur l’album : Etienne Anheim, Maître
de conférences à l'université de
Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et Valérie Theis, Maître de
conférences en histoire médiévale à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
L’entreprise est périlleuse, car elle doit à la fois
proposer une démarche scientifique et pédagogique (le nom des historiens est
placé aux côtés des deux auteurs), et arriver à une narration un minimum prenante,
tout en réduisant au maximum la part fictionnée.
Les
choix scénaristiques sont, à première vue, surprenants, laissant de côté les
deux images fortes du règne de Philippe le Bel (1285-1314). En effet, les
Templiers sont évacués en une planche (planche 41 / page 43), dans laquelle le
roi expose sa stratégie à leur égard à son fils. La légende de la gifle d’Anagni
(1303) est elle complètement absente. Les planches 38-39 voient l’arrivée de
Guillaume de Nogaret dans la demeure papale de Boniface VIII, alors en conflit
avec Philippe le Bel. Mais, ni la fuite du pape, aidée par les habitants, ni l’humiliation
que lui aurait infligé le conseiller du roi ne sont dessinées. Sacré pari donc
d’évacuer ces deux épisodes, au risque de décevoir le lecteur avide de
retrouver dans l’album bûcher de templiers et gifle papale ! Les images d’Épinal
sont d’emblée évacuées !
Le récit, chronologique, va alors se recentrer sur plusieurs
thématiques. Tout d’abord, l’affirmation de l’autorité royale, dans un royaume
qui reste marqué par les liens féodaux. Toute l’importance de l’administration
royale, du rôle des conseillers dont s’entoure Philippe, ressort tout au long
de l’album, reprenant ainsi les mots de Jean Favier qui parlait, pour qualifier
le règne de Philippe le Bel, de « politique des conseillers ». La
volonté du roi de construire un Etat moderne est soulignée à la page 11 / planche
9 par l’hommage rendu par Edouard 1er, roi d’Angleterre et alors
vassal du roi de France. Au cours de
celui-ci, Philippe loue l’administration et l’existence d’archives dans le royaume de son rival. Toute la
difficulté d’imposer un Etat centralisé transparaît dans la fin de l’album avec
la faiblesse des finances royales insuffisantes pour mener une telle
entreprise, et l’échec à lever une imposition directe, la conséquence étant une
dépendance aux taxations extraordinaires comme celles obtenues du clergé (décimes)
et théoriquement destinées à la croisade (cf p 14-15 / planches 12-13).
La rivalité avec le pape Boniface est aussi un thème récurrent de l’album.
Comme précédemment évoqué, cet affrontement trouve son dénouement avec l’épisode
d’Anagni. Les auteurs insistent sur cette volonté papale de se présenter non
pas uniquement comme un chef spirituel, mais aussi comme détenteur d’un pouvoir
temporel.
Christophe Regnault sort de cette restitution médiévale avec les
honneurs. Ce n’est pas le premier coup d’essai dans le genre historique pour le
jeune auteur lyonnais, puisqu’en 2012, il signait L’histoire vraie des photos
qui ont secoué la République, déjà chez Glénat. Il insuffle à l’histoire,
malgré la complexité de certains thèmes abordés, une grande lisibilité. Son
style classique et réaliste restitue avec précision et brio les lieux du
pouvoir royal, que ce soit la cathédrale de Reims (p 10 / planche 8), le Palais
du Louvre (p 11 / planche 9), le Palais de la Cité (p 12 / planche 10) ou
Notre-Dame (p 12 et 27 / planches 10 et 25), n’hésitant pas à proposer des
cadrages originaux et risqués (intérieur de Notre-Dame p 27 / planche 25).
La représentation des batailles est également, en peu de pages, un
succès. Que ce soit celle des Éperons d’or en 1302, où Philippe perdra de
nombreux conseillers, ainsi que Robert II d’Artois et le légiste Pierre Flote,
ou celle de Mons-en-Pévèle, lors de laquelle le roi gagne l’obéissance de la
Flandre en 1304, leur traitement démontre les qualités de narrateur pictural de
C. Regnault.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire